Tournant stratégique de la Fed : priorité à la croissance et l’emploi
La décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de réduire ses taux de 50 points de base, accompagnée de l’annonce de nouvelles baisses, marque un tournant dans le contexte économique actuel. Après avoir longtemps focalisé ses efforts sur la maîtrise de l’inflation, la Fed réoriente désormais ses priorités en mettant en avant son double mandat, en l’occurrence celui de la stabilité de l’emploi. Selon nous, le cycle post-pandémie a montré des particularités inédites, avec des pressions inflationnistes apparaissant plus tôt que dans les cycles précédents et une croissance des salaires qui est restée modérée, malgré le plein emploi et une inflation marquée.
Les effets anticipés de la baisse des taux sur l’économie Américaine
La baisse des taux d’intérêt devrait favoriser une extension du cycle économique, voire même contribuer à sa normalisation, renforçant ainsi notre orientation vers des actifs risqués, avec un accent sur le crédit et les actions dans les portefeuilles. Malgré des trésoreries abondantes et des bilans généralement solides, la confiance des entreprises reste fragile, mais pourrait bénéficier de l’allègement des coûts d’emprunt. La consommation, quant à elle, bien que modérée, demeure soutenue, et le chômage a légèrement augmenté par rapport à ses niveaux historiquement bas.
Décélération de la croissance et menace de récession
Nous anticipons un ralentissement de la croissance vers une cadence plus stable autour de 2 % pour les deux ou trois prochains trimestres, avec une inflation susceptible de revenir à son niveau cible d’ici mi-2025. Cependant, ce contexte positif comporte aussi des risques. La forte croissance observée ces douze derniers mois, en grande partie alimentée par une augmentation de la main-d’œuvre, est perçue comme peu soutenable. Cela pousse de nombreux investisseurs à envisager un ralentissement plus marqué pour la seconde moitié de 2024. À présent que la modération des données sur l’emploi se confirme, la crainte d’un affaiblissement plus prononcé de la dynamique économique se renforce, ce qui pourrait entraîner une croissance en deçà de la tendance, voire une récession.
Toutefois, les déséquilibres typiques des périodes de récession — tels que le surendettement, l’excès de confiance ou la mauvaise allocation des capitaux — sont aujourd’hui largement absents de l’économie américaine. L’inflation a atteint des niveaux contraignants pour les taux d’intérêt relativement tôt dans le cycle, bien avant que ces déséquilibres ne deviennent menaçants. Nous observons toutefois que le ralentissement de la croissance et le léger affaiblissement de l’emploi rendent l’économie plus exposée aux chocs extérieurs, même si l’absence de déséquilibres limite le risque de chocs internes aux États-Unis.
Les perspectives mondiales : complexité et défis des grands marchés
À l’échelle mondiale, le contexte est plus complexe. L’économie européenne reste fragilisée, sans signes clairs de reprise dans le secteur manufacturier. En Chine, la demande en baisse et des taux d’intérêt réels élevés freinent le rebond de l’activité, affectant les échanges avec les économies exportatrices orientées vers l’industrie en Europe et en Asie. Dans ces régions, les consommateurs sont soutenus par des taux d’épargne élevés et un faible chômage, mais il semble improbable que l’économie mondiale bénéficie d’une reprise manufacturière avant fin 2025.
Quelles allocations adopter ?
Bien que le potentiel de croissance accélérée reste limité, les baisses de taux prévues par la Fed devraient permettre une prolongation du cycle économique, avec une croissance proche de la tendance. Ce contexte reste propice aux actifs risqués, même si nous anticipons des rendements plus modérés comparé aux deux dernières années. Un retour vers une croissance tendancielle devrait en effet modérer l’enthousiasme des investisseurs. Les valorisations deviennent également une contrainte pour de nombreux actifs, bien que les bénéfices et les flux de trésorerie devraient croître en ligne avec l’activité économique.
Nous ne pensons pas que le marché ait atteint son sommet. Historiquement, l’économie américaine a connu 41 années sans récession depuis 1970, avec seulement cinq années de rendement négatif pour le S&P 500. Ainsi, en période de croissance, les actions ont affiché des performances positives près de neuf fois sur dix.
Les responsables de l’allocation d’actifs doivent équilibrer l’exposition au risque entre les différentes classes (actions, crédit, taux) et tenir compte des différences de politique monétaire mondiale. Nous estimons que l’exposition aux actions devrait se concentrer principalement sur les États-Unis, malgré des valorisations élevées, tandis que le crédit offre des rendements totaux attractifs. Une position neutre sur les obligations semble également appropriée dans l’environnement monétaire actuel.
Nous maintenons une surpondération des actions, en privilégiant particulièrement les valeurs américaines. Avec le ralentissement de la croissance économique et des marges élevées, nous anticipons que la croissance des bénéfices du S&P 500 passe de 11 % cette année à 8 % en 2025. Étant donné des valorisations proches de 21 fois les bénéfices prévisionnels, nous envisageons des gains plus modérés pour l’indice sur les deux prochains trimestres. Si la reprise du cycle manufacturier se confirme en 2025, comme nous l’anticipons, cette stratégie pourrait offrir des opportunités. Les bilans et flux de trésorerie des entreprises demeurent solides, renforçant notre position de « renforcer en cas de baisse » pour le marché des actions.
Bien que la concentration sur les actions américaines suscite des débats, nous voyons des avantages structurels spécifiques au sein des grandes capitalisations technologiques. L’adoption de l’intelligence artificielle est en phase de croissance, le contexte géopolitique confère un avantage compétitif au secteur, et les flux de trésorerie disponibles des principales entreprises technologiques affichent un rendement annuel d’environ 25 %. Nous considérons donc que ce secteur présente encore un potentiel de hausse pour les marges et les bénéfices de l’indice en 2025.
À l’international, nous privilégions les actions japonaises et celles des marchés émergents, tout en étant plus prudents sur les actions européennes. Au Japon, malgré la volatilité récente et l’appréciation du yen, les perspectives de bénéfices et les améliorations de la gouvernance d’entreprise demeurent prometteuses. Les actions des marchés émergents offrent une exposition intéressante à la technologie avec une amélioration des bénéfices, soutenue par le cycle de baisse des taux de la Fed. En revanche, les actions de la zone euro, exposées au ralentissement industriel, pourraient voir leurs rendements limités.
Nous pensons que des opportunités significatives d’alpha liées à la sélection de titres existent dans toutes les régions. Les évolutions monétaires devraient encourager une rotation des investissements, puis une rotation cyclique.
Concernant le marché obligataire, le risque d’une récession reste une préoccupation centrale pour les investisseurs en obligations d’entreprises. Les obligations font face à des vents contraires. Le cycle d’assouplissement monétaire et la croissance modérée appuient une surpondération de la duration, tout comme la baisse de la corrélation entre actions et obligations, ce qui redonne aux obligations leur rôle de couverture dans les portefeuilles. Cependant, avec les taux américains à 10 ans autour de 3,75 %, l’attractivité est limitée en raison d’une inflation encore au-dessus de l’objectif et d’un marché de l’emploi proche de la capacité. En cas de prolongation du cycle, des rendements proches de 4 % sembleraient plus adaptés.
Les différences de rythme dans l’assouplissement monétaire mondial influenceront le marché des changes. Malgré son coût élevé selon les indicateurs, nous pensons que les écarts de croissance continueront de soutenir le dollar américain. En parallèle, l’euro pourrait souffrir d’une croissance faible et d’une BCE conciliante, alors que le resserrement monétaire de la Banque du Japon soutient le yen. Nous privilégions ainsi une position neutre à légèrement positive sur l’USD et une position tactique vendeuse sur l’EUR contre le JPY.
Conclusion : confiance modérée dans un retour à la croissance tendancielle
En résumé, nous restons confiants dans un retour vers une croissance proche de la tendance, prolongée par le cycle actuel. Nous anticipons des rendements positifs mais modérés pour les actifs risqués, accompagnant l’assouplissement progressif de la Fed. Les produits structurés restent les solutions les plus adaptées dans ce contexte. Les éventuelles baisses de marché devraient être rapidement absorbées par des rachats. Au niveau mondial, bien que le cycle des biens reste faible, la consommation semble assez solide pour soutenir l’activité. Les potentiels de hausse sont probablement reportés à 2025, mais avec l’intervention de la Fed, nous restons confiants sur la solidité des fondamentaux économiques et des marchés.